Rien n’arrive par hasard, et c’est particulièrement vrai au roller derby, un sport qui a beaucoup évolué au fil du 20e siècle, depuis ses débuts en 1925 à Chicago, jusqu’au gymnase Jablonsky de Châteauroux !
Tout commence, bien sûr, par l’invention du patin à roulettes. On attribue cet exploit au belge John Joseph Merlin (1735-1803) vers 1760, bien que les origines du patin restent encore floues, par manque d’archives. Toujours est-il que cet inventeur belge a eu l’idée de remplacer la lame du patin à glace par des rouleaux en métal sur une plaque de bois. Les rollers en ligne étaient nés. S’en suivront modifications et améliorations pour qu’un siècle plus tard, en 1863, l’Américain James Leonard Plimpton invente les patins à essieux mobiles.
Soit quatre roues en bois montées sur deux essieux. Les ancêtres de nos patins actuels, appelés quads. Ses patins à roulettes séduisent tellement que des patinoires se construisent à travers le monde uniquement pour leur pratique. On a compté jusqu’à soixante patinoires à Londres et dans sa banlieue.
La pratique du quad va déboucher sur l’organisation de courses d’endurance, dans les années 1880. Certaines durent même plusieurs jours. Les foules s’en passionnent. Des patineurs se professionnalisent, et certains d’entre eux réalisent de véritables shows. Mais le sport n’arrive pas à s’imposer comme discipline sportive car les participants finissaient par se bousculer les uns les autres. C’est pourtant ça, justement, qui séduit la foule, et fera le succès, plus tard, du roller derby.
Justement, le terme derby, qui signifie course ou série de course, est employé pour la première fois dans ce contexte par le Chicago Daily Tribune, en 1922, pour annoncer la tenue de deux courses.
La Grande Dépression de 1929 marque un tournant pour ce qui est désormais appelé roller derby. La pauvreté s’installe. Des marathons de danse s’organisent à travers le pays. Le public en est friand. Le but du jeu est de danser des heures et des heures, au-delà de l’épuisement, jusqu’à ce qu’il n’y plus qu’un couple sur la piste. Les gagnants remportent alors des sommes importantes. En pleine dépression, les couples affluent.
Quel rapport avec le roller derby ? Le publicitaire Leo Seltzer, propriétaire de plusieurs théâtres vides dans l’Oregon, sent le filon. Il décide d’organiser ces mêmes types de marathon dans ses théâtres, puis ajoute des rollers aux pieds des participants, avant d’imaginer un marathon Los Angeles-New-York, filmé, sur une piste circulaire. Les équipes, composées d’hommes et de femmes (une première), devaient parcourir 57 000 tours !
C’est un succès. Plus tard, les courses se dérouleront sur piste ovale aux bords relevés. Puis Seltzer investit dans une piste démontable pour parcourir les Etats-Unis. En 1937, avec un journaliste sportif, Damon Runyon, il couche sur papier plusieurs versions de règles, offrant la possibilité de se pousser et se donner des coups de coude. Les spectateurs adorent. Puis la course devient un jeu opposant deux équipes mixtes de cinq joueurs, chacune à l’effigie d’une ville. Enfin, à Los Angeles, la radio se met à retransmettre les parties en direct. Le roller derby connait un véritable engouement aux Etats-Unis, jusqu’à ce que la Seconde Guerre mondiale mette un coup d’arrêt à cette ascension.
La guerre terminée, Seltzer remet la discipline sur les rails. Des courses sont de nouveau organisées et le sport s’exporte au Canada. En 1948, une rencontre entre New-York et Brooklyn est pour la première fois diffusée à la télévision. Des évènements sont organisés au Madison Square Garden, attirant des dizaines de milliers de téléspectateurs. Les joueurs et le sport se professionnalisent.
Dans les années 1960, le roller derby permettra l’émancipation des femmes homosexuelles. Il a également constitué un des rares espaces de professionnalisation sportive des femmes.
En France, le roller derby apparait sous la forme d’un « roller catch ». Deux équipes d’affrontent, de façon brutale : coups de coude, d’épaule, croche-pied…
La discipline connaîtra de nombreuses difficultés dans les décennies suivantes. Son sort sera notamment dicté par les contrats que Seltzer, puis son fils Jerry, qui reprendra son flambeau, arriveront à conclure avec des chaînes de télévision. Sport reconnu, le roller derby occupait jusqu’à trois soirées par semaine la télévision. Avec le choc pétrolier de 1973, les équipes ne peuvent plus se permettre de voyager à travers tous le pays pour disputer des matchs. De plus, des suspicions de triche entachent la discipline, et le côté spectacle-castagne ne plait plus. Seltzer Junior finit par lâcher l’affaire.
Sans un Seltzer à sa tête, le roller derby décline. Il faudra attendre l’an 2000 pour voir la naissance du roller derby dans sa version moderne. A Austin, au Texas, Daniel Policarpo, alias « Devil Dan », recrute des patineuses pour réaliser des figures de cirque tendance rockabilly pour créer un spectacle totalement déjanté dans un bar dénommé Casino El Camino. Finalement, le spectacle est abandonné, et Devil Dan laisse tomber ses recrues. Mais l’impulsion donnée par Devil Dan les inspirent. Elles décident de former l’association Bad Girl Good Woman Productions. Elles formeront ainsi la première ligue de roller derby moderne, uniquement réservé aux femmes, sur le modèle du Do It Yourself. Un premier match a lieu en août 2002 à Austin. Les joueuses se costument et adoptent des noms de scène. Plusieurs autres univers se mélangent : rock, punk, pin-up, films d’horreur… La volonté d’émancipation féministe, face à un univers sportif très masculin, n’est pas loin. L’article du NY Times, racontant l’implication de Devil Dan dans l’émergence du roller derby moderne, cite une joueuse d’Austin, « Ali Mony », affirmant que le roller derby était le seul sport entièrement dédiée aux femmes qui leur permet d’être à la fois « sexy et agressives ».
Grâce à Internet, des ligues se mettent en place un peu partout aux Etats-Unis et s’organisent pour arranger des matchs entre elles. Le roller derby ne mettra pas longtemps à s’exporter, en Amérique du Sud, en Europe, en Asie et en Australie. En 2010 la sortie du film Bliss, racontant la découverte du roller derby par une ado au Texas, provoque un véritable engouement pour ce sport. En France, on dénombre, en 2016, plus de de 80 ligues de roller derby, et une dizaine d’autres souhaitant de former.
La quasi totalité des clubs sont féminins, même si quelques équipes masculines existent. Le roller derby a cette particularité d’être une sport de filles pour les filles et par les filles. Cherrylielie, joueuse chez les Paris Roller Girls, explique dans un article de France TV Info (Féminisme et corps-à-corps sur patins, une courte histoire du roller derby en France) : « La particularité de ce sport est qu’on s’occupe de nous de A à Z. On se coache, on se sélectionne et on organise nos événements. Même s’il y a, en plus, des bénévoles qui nous accompagnent, ça reste une majorité de joueuses qui s’occupent de tout et cela crée un élan de solidarité. »
Ne reste plus qu’au roller derby de s’imposer dans le paysage sportif mondial. En décembre 2010, la fédération internationale de roller sports, une filiale du comité international olympique, reconnait le roller derby comme un sport légitime. A quand l’arrivée du derby aux JO ?
Sources :
Le site de Roller Derby Toulouse